Alors qu’il est évêque de Genève depuis trois ans, Jean de Bertrand entreprend en 1411 une visite pastorale de son vaste diocèse; elle l’occupera trois ans, en autant de campagnes d’inspection (mai–septembre 1411, février–mai 1412 et avril–juin 1413). Il se rend dans 434 de ses quelque 450 paroisses. A peine l’entreprise achevée, il recommence: entre fin mai et mi-septembre 1414, il voit la moitié des paroisses, puis interrompt sa tournée pour rejoindre Constance, où va s’ouvrir le concile. Les procès-verbaux des deux visites se trouvent dans un registre des Archives d’Etat de Genève (Titres et droits, Ad 1); les relations de la visite inachevée de 1414 se trouvent aussi dans un cahier conservé à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève (manuscrit français 3615).
Les procès-verbaux précis qui nous relatent les périples de Jean de Bertrand sont marqués par le regard aigu d’un évêque réformateur, de surcroît administrateur réputé, vers ce qui, dans les cellules de base du diocèse, ne fonctionne pas bien, des bâtiments aux desservants et aux paroissiens, en passant par l’équipement liturgique. De plus, le visiteur relève dans chaque paroisse le nombre des feux et le revenu annuel du bénéfice. On ajoutera que ces observations s’appliquent à un territoire vaste et aux configurations variées: des villes de tailles diverses, des campagnes ouvertes dans les montagnes alpines et préalpines, et dans leurs vastes périphéries de collines et de plaines.
Dans un grand livre et de nombreux articles, Louis Binz a tiré parti de ces deux visites, mais aussi de celles qui suivent jusqu’en 1518, pour explorer le diocèse de Genève, aussi bien dans sa vie proprement ecclésiastique et religieuse que dans toutes sortes d’aspects relevant plus généralement de l’histoire économique et sociale. L’auteur rappelle l’essentiel de ces acquis dans une très utile introduction générale, dont les notes fournissent une abondante bibliographie.
Louis Binz nous offre maintenant une édition complète du texte latin des procès-verbaux des visites de 1411–1413 et de 1414. Il a eu la fameuse idée et l’insigne courage de traduire l’ensemble en français, «une entreprise pénible, interminable et cause de doutes infinis». Le texte latin et sa traduction se déroulent page après page en deux colonnes parallèles. Deux catégories d’utilisateurs bénéficieront avec reconnaissance de cet effort: ceux auxquels le latin fait défaut, qui pourront entrer en contact direct avec la version médiévale de leur région et de leur coin de pays; et les étudiants en histoire fort peu latinistes, mais qui rencontrent obligatoirement le Moyen Age! De plus, tous apprécieront le glossaire des termes techniques préparé par Mme Martine Piguet. Enfin, des textes aussi massifs et riches seraient mal utilisables sans l’imposant index des noms de personnes et de lieux préparé par Mme Sandra Coram-Mekkey. On rêverait encore d’un index des matières. Il faut une lecture continue ou un coup de hasard pour vous faire tomber sur la sorcière «Jeannette, veuve de Rolet Grusillon, qui vit dans la paroisse de Vich et à qui beaucoup recourent pour connaître l’avenir et remédier à leurs infortunes» (p. 348); on la trouve certes à l’index, mais comme veuve, pas comme sorcière. Ou sur les celliers construits dans le cimetière de Sainte-Offenge-Dessous (p. 149), la huche à blé qui encombre le choeur de Boëge (p. 304), les banquets de confrérie tenus dans les églises de Sutrieu (p. 468), Serrières-en-Chautagne (p. 485) et autres, ou encore les dettes du curé auvergnat de Lornay, qui l’ont contraint à quitter le pays (p. 518)!
On doit évidemment s’associer au souhait de l’auteur: que paraissent bientôt l’édition et la traduction des procès-verbaux des quatre visites pastorales qui suivent entre 1443 et 1518.
Citation:
Pierre Dubuis: compte rendu de: Les visites pastorales du diocèse de Genève par l’évêque Jean de Bertrand (1411– 1414). Présentées, éditées et traduites par Louis Binz, avec un glossaire de Martine Piguet et un index de Sandra Coram-Mekkey. Annecy, Académie Salésienne, 2006. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 3, 2009, p. 360-361.